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Macbeth tyran ordinaire à l’Odéon

Hélène Kuttner 5 février 2018
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©Thierry Depagne

Dans une scénographie blanche clinique et par le biais d’un texte finement retraduit, le metteur en scène Stéphane Braunschweig entend clarifier les enjeux de la pièce pour en proposer une version principalement politique. Le mystère du texte, la fantasmagorie mystérieuse et surnaturelle de ce chef-d’oeuvre en sont de fait gommés.

Une graine de héros devenu tyran

©Elizabeth Carecchio

D’emblée, devant un mur de carreaux blancs qui démystifie tout imaginaire, les trois sorcières, enceintes jusqu’au cou, jambes écartées sur un sceau en fer, nous font face avant de délivrer à Macbeth leur message prémonitoire. Echevelées mais très calmes, les trois femmes en haillons qui vont bientôt donner naissance à leurs monstres d’enfants, directement expédiés dans le sceau, interpellent aussi deux soldats revenus sanguinolents de la guerre. Les cadavres de leurs camarades traînent encore à terre dans des uniformes de barbouzes, on s’en débarrasse en les faisant glisser derrière les murs aseptisés de cet espace qui figure pour l’instant une caserne. « De toi naitront des rois » disent-elles à Banquo, l’ami de Macbeth, alors qu’elles promettent à ce dernier le sceptre royal.

Comme un jeu vidéo

©Thierry Depagne

La force démoniaque de la courte pièce de Shakespeare est son rythme. Les actions, les scènes s’enchaînent avec une percutante efficacité, puisque les personnages ainsi nommés réaliseront la prophétie des sorcières comme s’ils étaient mus par une main diabolique. Marionnette de Satan, manipulé par notre inconscient infernal, le héros de guerre Macbeth tue ses ennemis norvégiens comme il va recommencer à tuer ceux qui le gênent pour accéder au trône, et le Roi Duncan en premier. Le comédien Adama Diopp incarne avec sa carrure athlétique ce serial-killer aiguillonné par son épouse dévorée d’ambition, et leur couple fait penser aux dictateurs fous qui sévissent en Afrique en semant la discorde dans les différentes ethnies. Le second décor, en arrière plan, est celui d’un salon élyséen, avec stucs et dorures baroques, où le nouveau roi et son épouse, Chloé Réjon habillée en Azzedine Alaïa, président les conseils des ministres.

Une cuisine aux couteaux aiguisés

©Thierry Depagne

La scénographie alterne l’univers du crime et l’apparat du palais, envers et endroit d’une même stratégie de prise de possession du pouvoir par la folie criminelle. Lady Macbeth fomente ses désirs d’élimination dans sa cuisine, corps lascivement étendu sur une table, une rangée de couteaux géants suspendus au mur. Christophe Brault excelle à changer de costume, Duncan, le portier ivre, le médecin, et David Clavel incarne un Banquo fantomatique dans une scène mémorable avec un Macbeth saisi de folie, entre tragique et burlesque, quittant au rythme des apparitions du spectre le banquet royal. Finalement, hormis ces deux décors, la scène de la forêt se limite à une rangée de sapins qui sert de toile de fond au meurtre final de Macbeth. Macbeth et sa Lady ne seraient-ils que les projections extraordinaires et démoniaques de nos petites personnes très ordinaires, puisque coupables ils se savent et coupables ils en meurent ? Un couple criminel, sorte d’Adam et d’Eve tombés définitivement du paradis pour plonger dans l’enfer du monde terrestre. En définitive, une histoire certes efficace et claire, mais qui manque étrangement de saveur, de surnaturel et de folie.

Hélène Kuttner

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